Diplomatie et politique culturelle comme « soft power »

Parlant de l’influence culturelle américaine dans le monde actuel, un commentateur européen écrit que « les instruments de la puissance américaine sont autant CNN, Hollywood, Coca Cola, McDonald, Nike, la langue, les phénomènes culturels ou de mode de vie que les porte-avions ou les missiles de croisière ». Bien dit !

Ainsi, la promotion de la culture haïtienne – connue pour sa richesse et son pouvoir de fascination – reste un vecteur de la diplomatie en ce 21e siècle comme « soft power » pour un pays qui ne produit presque rien pour le moment. La politique culturelle de l’État haïtien, si elle est bien coordonnée et bien maîtrisée par les instances étatiques nationales (ministère de la Culture, animateurs culturels privés, la gent du spectacle, le monde littéraire, les arts et l’artisanat traditionnels etc.), va constituer une pierre angulaire que la République d’Haïti est d’utiliser comme un vecteur essentiel de dialogue, de compréhension mutuelle et de dépassement des idées fausses.

La diplomatie culturelle reste l’expression et l’expansion de la politique culturelle interne d’un pays en dehors de ses frontières et utilisée comme « soft power » pour tailler une place sur la scène internationale. Cette action diplomatique ne sera effective qu’avec l’apport des autres opérateurs culturels sur le terrain. La démarche commence en amont lorsque les autorités culturelles dans le pays, de concert avec les autres opérateurs culturels privés, réfléchiront à des stratégies pour revigorer le paysage culturel haïtien. Ensuite la Chancellerie aura en main tout un dispositif pour alimenter ses missions diplomatiques et postes consulaires dans le but de revitaliser l’identité haïtienne, de l’imposer sur le marché culturel international pour favoriser, au bout du compte, la croissance économique et l’innovation.

Mon expérience personnelle à Atlanta m’a appris comment utiliser les opportunités du secteur culturel du pays et les richesses de notre culture (artisanat, peinture, littérature, mode, cuisine etc.) pour disséminer une image positive du pays, pour faire reconnaitre le rôle central de la culture dans le redressement et la résurgence du pays. Avec sa riche diversité de traditions, de formes d’art et d’expressions, le patrimoine culturel haïtien est la clé de la promotion d’une image positive d’Haïti et offre la possibilité aux acteurs nationaux de jouer un rôle prépondérant dans l’élaboration d’une stratégie globale pour le secteur culturel pour, en dernière instance, faciliter un dialogue constructif sur la scène mondiale.

Il y a moyen d’améliorer la position d’Haïti sur la scène internationale en la mettant en première ligne pour la défense de la diversité culturelle, à travers des manifestations culturelles comme les foires, festivals, salons, expositions, aide à l’édition, au cinéma et au théâtre. Activités que les missions diplomatiques ou les postes consulaires peuvent initier ou appuyer, en impliquant la société civile, les hommes d’affaires, les institutions du pays accréditaire et des opérateurs privés de la culture.

Les vides à combler dans la pratique du réseau diplomatique haïtien

L’appui international reste un élément important dans la reconstruction du pays. Cet appui international n’arrivera tout bonnement pas si l’action diplomatique n’est pas efficace et efficiente, si la léthargie, le laxisme et la timidité continuent à caractériser les pratiques diplomatiques de nos diplomates en poste outre-mer. L’une des faiblesses de ce réseau diplomatique est l’absence de ces genres d’initiatives des diplomates auprès de leurs homologues à l’étranger. On sort avec l’impression que notre diplomatie subit les décisions/initiatives prises par d’autres.

Il existe un autre vide dont souffre notre diplomatie : l’absence d’information venant des missions diplomatiques et des postes consulaires. La pratique diplomatique ne peut être réduite à l’émission et à la délivrance de passeports et de mandats aux ressortissants haïtiens.

Le travail des diplomates consiste à développer des relations permanentes et constantes avec les autorités des États accréditaires, avec les membres de la société civile (secteur privé) et tous les secteurs de la vie nationale de cet État (partis et organisations politiques de toutes tendances etc.) et en faire des rapports périodiques assorties d’analyses et de recommandations aux décideurs de la Présidence, de la Primature et de la chancellerie.

Un exemple entre autres : des élections se tiennent dans un pays dans lequel la République d’Haïti entretient une mission diplomatique. Il n’est pas normal que le Président de la République, le Premier ministre ou le ministre des Affaires étrangères apprennent les résultats d’élections à travers la presse ou sur l’Internet. Est-ce que nos diplomates ont des rapports avec le chef du pouvoir établi et les candidats de l’opposition ? Les contacts avec tous les secteurs de la vie nationale du pays accréditaire relèvent de la pratique normale pour un diplomate et ne constituent pas d’ingérence dans les affaires internes de l’État d’accueil.

L’analyse pertinente des nouvelles réalités de la mondialisation conduit à envisager une stratégie menée avec les outils adaptés aux nouveaux défis posés par les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Pour conclure ce volet, disons que les prémisses de toute analyse sur la diplomatie haïtienne en ce début du 21e siècle révèlent la nécessité de la permanence d’un espace de dialogue dans l’arène internationale à travers les missions diplomatiques et postes consulaires et aussi une pratique continue et productive d’interactions entre le service central et les services externes.

C’est en ce sens que la mise en œuvre de la nouvelle vision stratégique de la diplomatie haïtienne – le paradigme de l’intérêt national lié aux enjeux géoéconomiques — exige des démarches tactiques qui consistent à changer la nature des rapports entre la Chancellerie et les Services Externes.

Comme exemples pratiques : des notes verbales, des circulaires et, éventuellement, la conceptualisation et la publication (interne) d’un manuel de procédures devraient venir codifier les mesures qui seront prises en informant les diplomates en poste que leur travail sera monitoré sur une base régulière à travers des rapports de mission qu’ils seront obligés de soumettre à la Chancellerie, via le Chef de Mission. Ce dernier aura la responsabilité du fonctionnement de la Mission qu’il dirige et sera tenu à l’obligation de résultats en conformité avec les instructions qu’il aura reçues des décideurs à la Chancellerie.

La diplomatie haïtienne devrait se déterminer sur des critères objectifs d’efficacité et d’efficience, au sens le plus strict du terme. Pour cela, il faudra une nouvelle culture diplomatique axée sur des critères économiques et de nouvelles modalités d’action seront adoptées dans les missions diplomatiques et postes consulaires.

Complexité du paysage international

Il existe bon nombre de problèmes vitaux que la diplomatie haïtienne doit couvrir puisqu’ils touchent tout le monde et qu’ils constituent des sujets auxquels aucune nation au monde ne peut rester indifférente. Il s’agit notamment de : la lutte contre le dérèglement climatique et la protection de l’environnement, la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, la lutte pour la sauvegarde des acquis démocratiques etc.

La diplomatie haïtienne a été également influencée par des facteurs régionaux, tels que les relations avec nos voisins, en particulier la République dominicaine. Le paysage international actuel reste on ne peut plus complexe et fragile. La guerre en Ukraine, le conflit israélo-palestinien, les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine qui sont pris dans une logique de rapports de force économiques entre eux, les tendances à redéfinir la cartographie et l’architecture des relations internationales génèrent des tensions qui requièrent que les PMA, comme Haïti, naviguent avec prudence dans un paysage aussi complexe.

Dans ce monde qui se révèle multipolaire, la diversification des relations diplomatiques semble être de mise. L’adage qui veut qu’on ait « des amis, encore des amis et toujours des amis » garde encore sa verdeur. L’action diplomatique doit aussi cibler désormais les États en phase de décollage économique où les opportunités sont les plus importantes.

Par exemple, prenons ce regroupement international dénommé les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). Depuis longtemps, la République d’Haïti entretient des relations étroites avec certains de ces pays. Le Brésil et l’Inde sont des pays qui ont développé des rapports culturels avec notre pays par l’octroi de bourses d’études. Nous avons des ambassades au Brésil, en Afrique du Sud et un bureau commercial en

Chine. Une diplomatie bien pensée devrait dépasser le stade de ces bourses et entrer dans une dynamique de coopération économique active avec eux. Cette diversification ne nous poussera pas à ralentir nos rapports avec les partenaires stratégiques traditionnels (États-Unis, Canada, France, Allemagne etc.), tant s’en faut ! Le réseau diplomatique, de la base au sommet de la pyramide, travaillera à l’avancement de ces dossiers devant les partenaires internationaux.

Un regard vers l’établissement des relations avec l’Afrique et les pays nordiques

La diplomatie haïtienne devra chercher à développer des relations avec certains pays africains dans le but de promouvoir une coopération économique, commerciale. L’Afrique, étant riche en matière première, permettra à Haïti de développer une industrie de transformation.

La complexité du paysage international est dû au fait que la politique internationale n’a pas perdu son caractère de conflictualité permanente. « L’éternité du conflit, la pérennité du Polemos », dit le philosophe Bernard-Henri Lévy. Pendant les longues années de la guerre froide et l’application de la politique d’endiguement des États-Unis (mise en œuvre avec un degré de succès relatif) et l’activisme de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) ont créé un climat de tensions que la diplomatie, selon le contexte, pouvait plus ou moins calmer. La crise de Suez, le conflit israélo-arabe au Moyen-Orient, la vague des indépendances en Afrique et en Asie, les guerres de guérilla en Amérique latine, l’activisme international de la révolution cubaine, la crise des missiles etc. constituaient des épisodes de la guerre froide et répondaient aux exigences des processus historiques. L’« équilibre de la terreur » a accouché de plusieurs accords sur le nucléaire entre les deux superpuissances. Mais la course a continué…On est toujours en ce début du 21e siècle dans ce jeu de bascule qui était et qui reste une source de complexité.

Bien que les données du problème aient changé avec la fin de la guerre froide, il n’en reste pas moins que la dialectique des relations internationales garde toujours les caractéristiques de l’état de nature hobbesien, soit un espace conflictuel à travers lequel les petites nations doivent naviguer, rechercher l’équilibre et tirer leurs marrons du feu. C’est à cet exercice politico-diplomatique tortueux que la diplomatie haïtienne est conviée en ces temps-ci, d’où l’impérieuse nécessité de révision révolutionnaire des priorités de cette diplomatie pour les deux prochaines décennies.

Gandy Thomas

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