La diplomatie haïtienne face aux défis et aux enjeux du 21e siècle

Tout jeune diplomate en poste à La Havane à la fin des années 1990, j’ai rencontré un ambassadeur du Mexique, un sexagénaire blanchi sous le harnois, qui avait été affecté dans plus d’une dizaine de capitales dans le monde, dont Port-au-Prince. Il m’avait dit un jour, combien il admirait la résilience et la fierté du peuple haïtien et qu’il était en train de suivre avec un intérêt et une attention soutenus les percées diplomatiques que faisait Haïti dans le contexte combien complexe de l’après-guerre froide.    Cette    conversation    m’avait marqué. C’était un intellectuel de haut vol avec qui je passais de longues heures d’échanges après nos séances de tennis au   club Havana. J’ai eu l’occasion de le rencontrer à deux reprises après avoir quitté le poste de La Havane. C’était un vrai gentleman. J’ai appris qu’il est décédé à l’été 2020, dans sa province natale de Veracruz, en pleine pandémie du Covid-19. Qu’il repose en paix !

Je rappelle ce coup d’œil étranger sur la diplomatie haïtienne post-86 pour souligner la pertinence et la justesse de l’opinion de ce briscard de la diplomatie. Effectivement, après la chute des Duvalier en 1986, la diplomatie haïtienne semblait avoir adopté l’adage qui veut qu’on ait « des amis, encore des amis et toujours des amis. », se démarquant de la diplomatie sinon secrète, du moins discrète, incarnée en France par la figure d’un Talleyrand, au profit d’une diplomatie qui s’exerce au contraire au milieu de la place publique. Car les médias ont l’œil braqué sur l’événement et une grande partie de l’activité diplomatique de l’après-guerre froide consiste à « communiquer » : parler aux journalistes, faire du réseautage, faciliter des rencontres, rédiger des textes destinés à être publiés. Alors que l’interdépendance du monde pavait la voie aux investissements étrangers et aux échanges commerciaux, notre pays s’était recroquevillé dans les plis d’un immobilisme desséchant, d’un isolationnisme de mauvais aloi qui ne s’expliquent que par la soif de pouvoir des élites rétrogrades et leur volonté affirmée de s’accrocher à leurs privilèges.

Ce repli sur soi condamnait le pays à végéter dans la pauvreté, hors des circuits commerciaux et financiers d’un monde globalisé. Qui ne se souvient pas des stéréotypes qui émaillaient le discours médiatique international qui rebattaient les oreilles avec des stéréotypes du genre, « Haïti, terre du Vaudou » ou le « pays de la violence et de la misère », à l’instar de ce philosophe qui récemment décrivait le pays comme « un bazar du bizarre, une marmite du diable ». Toutes ces platitudes, tous ces poncifs n’ont pas survécu à la volonté démontrée par le peuple haïtien de son choix en faveur de la démocratie.

À la chute de la dictature, la République d’Haïti a brisé l’isolement en initiant et en établissant des relations diplomatiques avec la plupart des pays d’un monde essentiellement dominé par les valeurs républicaines et démocratiques. Ce mouvement s’est opéré sur une grande échelle, de l’Amérique latine à l’Europe en passant par l’Asie et l’Afrique. Haïti, est d’abord entré provisoirement dans la CARICOM le 4 juillet 1998 et devenue membre à part entière de la Communauté caribéenne (CARICOM) en juillet 2002. Lors, les autorités haïtiennes ont pris la décision de publier dans le journal officiel Le Moniteur le Traité signé à Chaguaramas, Trinidad & Tobago le 4 juillet 1973, entré en vigueur 1er Août 1973 et Révisé en 2001 qui établit le marché et l’économie uniques de la Communauté caribéenne comme symbole vivant du désir du pays de renforcer ses liens avec ses frères de la Caraïbe.

L’État haïtien a continué cette démarche d’intégration en visant d’autres pays de l’Amérique centrale et latine avec lesquels il entretient des relations historiques d’amitié et de coopération comme le Venezuela, Cuba, le Mexique, le Chili, le Brésil et l’Argentine. Dans la foulée, Haïti est devenue membre du Groupe de Rio et, pendant un certain temps dans les années 1990, a assuré la présidence de l’Association des Etats des Caraïbes (AEC) et du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC). Autant de forums qui devraient permettre aux décideurs d’articuler une nouvelle vision de l’action politico- diplomatique. Ici nous sommes dans le domaine strict de la représentation. La représentation diplomatique étant l’un des socles conceptuels emblématiques de l’activisme politico- diplomatique, il est important de l’utiliser pour faire connaître le pays, imposer sa présence parmi ses pairs, exposer ses opinions et ses points de vue devant les partenaires du monde entier. C’est   là   un   fait   incontournable et indispensable !

Mais il faut davantage que la simple représentation axée sur le protocole et le cérémonial. Le travail diplomatique requiert tout un dispositif de valeurs qui régissent la politique, l’économie, l’investissement, le commerce, le tourisme etc. Maintenant que le pays est accepté dans toutes les assises internationales et dans presque tous les pays comme un partenaire fiable et engagé dans le processus démocratique, la grande question est celle-ci : comment rendre la diplomatie haïtienne plus proactive et plus dynamique pour qu’elle progresse au diapason des idéaux démocratiques et du développement ? Comment rendre le réseau diplomatique haïtien plus performant et plus susceptible de contribuer à une croissance économique ? Quels axes devrions-nous privilégier pour parvenir à placer l’intérêt national au cœur des pratiques diplomatiques et comme élément-pivot des relations internationales d’Haïti ?

Répondre à ces questions revient à inventorier ou à comprendre le nouveau paradigme qui s’est instauré au cœur des relations internationales durant ces deux dernières décennies : le paradigme de l’intérêt national lié aux enjeux géoéconomiques mondiaux. En ce sens, cette nouvelle vision stratégique ne conçoit pas la diplomatie en dehors de la dynamique sociopolitique interne ni en dehors des actions à mener pour l’ouverture de nouveaux marchés et de stimulants économiques et financiers susceptibles   de générer l’accumulation du capital et la création de richesses, facilitant ainsi l’accroissement des ressources matérielles et humaines du pays.

La compréhension et la mise en œuvre de ce nouveau paradigme permettra aux diplomates sur le terrain et aux autorités politiques dans le pays d’embrasser une perspective globale de croissance économique et d’ouverture de marchés comme éléments fondamentaux des relations bilatérales entre Haïti et ses partenaires internationaux, chacun en ce qui le concerne. L’intérêt national lié aux enjeux économiques suppose un travail en amont que la diplomatie se fera fort de relayer dans ses interactions avec les autorités et la société civile des États accréditaires.

Les points d’ancrage suivants sont importants à considérer dans toute approche stratégique nouvelle pour renforcer la diplomatie haïtienne en ce début du 21e siècle.

Tour à tour, nous considérons les aspects qui suivent :

  1. Diplomatie, sécurité et stabilité politique ;
  2. Diplomatie, investissements étrangers directs et développement ;
  3. Diplomatie, migration et diaspora.
  4. Diplomatie et politique culturelle comme “Soft Power” ; et
  5. Les vides à combler dans la pratique ; du réseau diplomatique Haïtien

Veuillez tenir compte du fait que je n’ai pas, ici, l’intention ou la prétention de fournir une liste exhaustive.

Gandy Thomas

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