France – Afrique, Relations tendues – Leçons à tirer pour États-Unis – Haïti

L’influence française au Sahel s’est effondrée (1), écrivait la semaine dernière l’influent journal français, Le Monde. Ailleurs sur le continent, la France est sur la défensive, et rien de ce que dit Paris ne peut rétablir cette influence.

Après avoir procédé à plusieurs changements, rétrocédé des trésors historiques à d’anciennes colonies, réduit sa présence militaire et noué de nouveaux liens ailleurs sur le continent, la stratégie africaine de la France semble dans une impasse, estiment certains experts. Pourtant, nombreux sont ceux qui suggèrent que Paris ne peut plus prendre les devants, alors que certains dirigeants africains coupent complètement les liens et en nouent de nouveaux avec des rivaux étrangers, dont la Russie.

Des coups d’État ont eu lieu dans une demi- douzaine d’anciennes colonies françaises d’Afrique occidentale et centrale sur trois ans – dont deux, au Niger et au Gabon, en un peu plus d’un mois. Trois pays fragiles de l’Afrique de l’Ouest – le Mali, la Guinée et le Burkina Faso – ont succombé à l’instabilité et ont connu des prises de pouvoir militaires. Le Sahel africain, qui abrite certains des pays les plus pauvres, les plus instables politiquement et les plus sujets aux conflits, est une fois de plus en crise. Même si la pandémie de COVID-19 a peut-être contribué à pousser ces pays à bout, ils étaient au bord de l’instabilité bien avant l’émergence du virus en raison de vulnérabilités profondément enracinées telles que l’insécurité chronique, la corruption politique et le chômage de masse.

Cet article tente de faire une introspection sur ce qui n’a pas fonctionné et sur la manière, si possible, de mettre fin aux relations tendues entre la France et certaines de ses anciennes colonies. Un bref parallèle sera fait avec les relations haïtiano-américaines, basé sur les leçons apprises de l’intervention de la France en Afrique.

Les Interventions de la France au Sahel au Cours des Dix Dernières Années

Tout a commencé en 2012, lorsque le gouvernement malien invite la France à l’aider à résoudre la crise sécuritaire qui se détériorait rapidement dans le nord agité du pays, où les rebelles touareg et les combattants alliés à Al- Qaïda au Maghreb islamique avaient capturé de vastes étendues de territoire. La France envoie alors des milliers de soldats et chasse les combattants de la capitale, Bamako, avec l’aide du Tchad voisin.

En 2014, avec le soutien du gouvernement malien, la France décide d’élargir ses opérations antiterroristes dans la région en déployant 5.100 soldats dans cinq pays du Sahel dans le cadre de ce qui est devenu l’opération Barkhane – son opération à l’étranger la plus importante et la plus coûteuse de l’histoire moderne.

Malgré son coût économique et humain élevé, l’opération Barkhane n’a pas réussi à produire les résultats escomptés. Les problèmes du Mali et de la région dans son ensemble n’ont pas pris fin. Au lieu de cela, les groupes armés ont commencé à accroître leur pouvoir et leur portée. Les attaques contre les civils sont devenues monnaie courante et la situation sécuritaire s’est détériorée dans les pays du Sahel.

Le 31 janvier 2022, le Mali expulse l’ambassadeur de France du pays. À cette époque, jusqu’à 1000 mercenaires russes étaient sur le terrain au Mali. Quelques jours plus tard, des milliers de manifestants anti-français descendent dans la rue en brandissant des drapeaux russes et en brûlant des découpes en carton du président français Emmanuel Macron pour célébrer l’expulsion.

La même année, la France retire ses troupes du Mali et en déplace une partie vers le Niger voisin, dans le cadre d’une nouvelle stratégie africaine. Cela n’a guère amélioré la position de la France dans la région. Le Niger a rapidement connu son propre coup d’État et, l’opinion publique étant fermement opposée à la France, les putschistes n’ont pas perdu beaucoup de temps pour imputer à la France les nombreux problèmes du pays et l’accuser de déstabiliser le pays.

Un mécontentement sociétal, cause profonde des putschs

Aucun de ces coups d’État, ni les défis qui y ont conduit, ne se sont concrétisés soudainement. Les organisations internationales de développement et les groupes de réflexion soulignent depuis des années les défis extrêmes en matière de sécurité et de gouvernance auxquels ces pays sont confrontés.

Les interventions militaires ont été le résultat d’échecs systémiques longtemps ignorés et d’un mécontentement sociétal croissant. Au-delà des menaces à long terme contre la démocratie constitutionnelle et la sécurité dont ils sont issus, les récents coups d’État ont un autre aspect commun surprenant : le soutien civil de la majorité de la population.

Dans les pays dotés d’une stabilité et d’une sécurité relatives, ainsi que de garde-fous constitutionnels fonctionnels contre des menaces telles que la fraude électorale et les tentatives illégales de prolongation du mandat présidentiel, les forces armées peuvent organiser des coups d’État, mais elles ne parviennent souvent pas à justifier de manière convaincante leur intervention ou à obtenir la victoire.

Au Mali, au Burkina Faso, au Niger et en Guinée, cependant, l’absence de telles garanties a conduit les populations civiles à adopter avec enthousiasme les récentes interventions militaires. En effet, les citoyens de ces pays ont réagi à l’annonce des prises de pouvoir militaires par des protestations non pas contre l’armée intervenante, mais contre les dirigeants politiques démis de leurs fonctions. Cette réaction reflète le manque de confiance du peuple dans la politique démocratique dans leurs pays.

Dans les pays du Sahel – du Niger et du Mali au Burkina Faso et au Tchad – la corruption omniprésente, l’extrême pauvreté, le chômage généralisé et l’incapacité perçue des partenaires occidentaux et des institutions internationales à apporter la stabilité et à assurer la sécurité dans la région ont retourné les populations locales contre les gouvernements occidentaux.

Mais l’on ne doit pas non plus négliger un facteur essentiel qui, au-delà de l’insécurité chronique et de l’instabilité économique, a contribué de manière significative à amener les gouvernements militaires au pouvoir dans la région : le sentiment anti-français croissant. La mémoire du colonialisme français, définie par des campagnes militaires brutales, le travail forcé, la répression généralisée, l’effacement culturel, la ségrégation raciale et les déplacements forcés, est toujours bien vivante dans la région du Sahel.

Associées à des suspicions ancrées dans l’histoire coloniale, les mésaventures, déceptions et échecs flagrants de la France en Afrique les plus récents ont conduit les populations du Sahel à se méfier de l’ancienne puissance coloniale et de tout ce qu’elle fait dans la région. Les putschistes de nombreux pays ont profité de cette hostilité toujours croissante et ont réussi à se présenter au public comme des héros anticoloniaux résistant à une France néocoloniale et à ses pions corrompus au sein des gouvernements locaux. C’est pourquoi les masses ont accueilli le régime militaire avec des chants anti-français au Mali, au Burkina Faso, au Tchad et plus récemment au Niger.

La France à l’écoute des Africains, le début d’une solution

La principale raison de la perte rapide d’influence et de respect de la France au Sahel, où elle est désormais largement considérée comme un méchant néocolonial, se situe dans son approche erronée de la crise sécuritaire qui ne cesse de s’aggraver dans la région.

Plutôt que d’essayer d’identifier et de traiter les causes profondes du conflit en renforçant les institutions étatiques et en encourageant la bonne gouvernance, Paris a tenté de résoudre les problèmes de sécurité des pays du Sahel uniquement par la force militaire. Cette orientation militaire, qui ne s’est même pas traduite par des victoires décisives sur le terrain, a alimenté le conflit et a rapidement retourné l’opinion publique contre la France.

La position de la France, déclare la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna ‘’est d’écouter les Africains, et non de décider à leur place’’. Pendant un certain temps, Macron – né après l’indépendance de la dernière colonie française en Afrique, Djibouti – a semblé être l’homme idéal pour ce poste.  « Je fais partie d’une génération qui ne dit pas aux Africains quoi faire » a-t-il déclaré en liesse aux étudiants du Burkina Faso, peu après son élection il y a six ans.

Macron avait promis de retirer les forces françaises en Afrique et de créer un nouveau « partenariat de sécurité », avec des bases sur le continent, transformées en fonction des besoins africains et gérées conjointement avec le personnel africain. Malheureusement, il a failli à ses promesses.

La France est sans aucun doute en retrait au Sahel, mais elle peut encore revenir dans la partie si elle joue correctement ses dernières cartes. Pour revenir dans la région comme un acteur de premier plan, Paris devra d’abord conquérir le cœur et l’esprit des locaux.

Pour ce faire, il lui faudrait faire une introspection et faire face à l’héritage du colonialisme. Il lui faudrait également admettre ses erreurs les plus récentes, tirer les leçons de ses échecs militaires et politiques et, surtout, commencer à considérer les pays du Sahel comme des partenaires de sécurité égaux et indépendants plutôt que comme d’anciennes colonies ayant besoin des conseils de la France.

Si la France ne parvient pas à prendre ces mesures et à construire de nouveaux partenariats plus solides avec les pays du Sahel, elle restera une puissance largement sans conséquence et ne servira à rien d’autre que de fournir une légitimité facile aux putschistes de la région.

Bref, Il n’est pas trop tard pour que Paris appuie à nouveau sur le bouton de réinitialisation. La France a tout à gagner en changeant sa politique africaine. Cela doit aller au-delà des paroles et des actions concrètes doivent être engagées à ces fins.

Une fenêtre ouverte sur les relations Haïti – Etats-Unis

Depuis quelques années, Haïti est en proie à des gangs qui peuvent être assimilés aux groupes armés qui opèrent dans le Sahel. Les gangs criminels profitent de la corruption, de la faiblesse du système de sécurité et de l’étendue du littoral d’Haïti pour faciliter le trafic d’armes et de drogue. Tout comme dans les pays susmentionnés, la situation sécuritaire d’Haïti limite la croissance économique, exacerbe la stabilité politique et sociale, favorise la participation des jeunes à des activités illégales et illicites tout en créant une pression sur d’autres pour qu’ils émigrent.

Pendant de nombreuses décennies, la politique américano-haïtienne a été guidée par un objectif primordial : la prévention de la migration haïtienne et du trafic de drogue vers les États-Unis. Pour atteindre cet objectif, tout comme la France envers les dirigeants Africains, les États-Unis ont fourni un soutien limité et conditionnel au gouvernement haïtien malgré son absence de normes de démocratie, de responsabilité ou de transparence.

Depuis l’assassinat du président en juillet 2021, Haïti est dans un état de paralysie. À l’heure actuelle, il existe un vide de leadership dans toutes les branches du pouvoir et il n’y a pas d’élus en Haïti. En apparence, les élections locales, réclamées par les États-Unis, semblent être une question urgente ; cependant, la tenue d’élections serait compromise jusqu’à ce que le pays puisse garantir la sécurité nécessaire pour garantir une participation maximale des électeurs éligibles.

Cette déstabilisation a fragmenté le tissu social haïtien et érodé la confiance institutionnelle aux niveaux communal, régional et national. Cela a exacerbé l’absence de tout contrat social, de démocratie participative ou d’investissements significatifs dans la jeunesse ou l’avenir d’Haïti. Pourtant, les appels continus à l’action de la part de la communauté internationale démontrent les résultats historiquement médiocres de la politique américaine envers Haïti. Tout changement efficace nécessitera une nouvelle voie à suivre, similaire à celle exigée de la France envers l’Afrique.

Éléments d’un nouveau départ

La dissolution des forces armées haïtiennes en 1995 par Aristide sous pression américaine a fait qu’Haïti ne connaisse plus les coups d’état qui sévissent dans plusieurs pays d’Afrique. Singulièrement, l’absence de ces mêmes forces armées a facilité l’opération des gangs qui sèment la terreur dans le pays, dans l’impunité totale. Mais si les États-Unis souhaitent accompagner Haïti dans sa stabilisation, ils doivent le faire selon une approche différente.

Construire une situation sécuritaire stable en Haïti nécessite non seulement davantage de formation et de ressources pour la police nationale, mais également une lutte vigoureuse contre la corruption et l’engagement des citoyens dans la sécurité. Les gangs et les dirigeants du crime organisé profitent des lacunes et de la corruption des États pour établir des relations communautaires qui affaiblissent la gouvernance et contrecarrent l’application de la loi. Par conséquent, les solutions aux problèmes de sécurité nécessitent des stratégies bien calibrées et sophistiquées, une compréhension approfondie des réalités économiques, sociales, de classe, politiques et environnementales d’Haïti, ainsi que l’implication des acteurs communautaires, universitaires et économiques. Mais au-delà de l’aspect sécuritaire, les leçons apprises de l’attitude de la France envers l’Afrique exhortent l’adoption par les Etats-Unis d’une nouvelle stratégie dans laquelle les principes déterminants soient le partenariat, la durabilité,

l’autonomisation et la stabilisation grâce à un engagement inclusif et au soutien des processus politiques. Les Etats-Unis devraient abandonner leur approche

fragmentaire du renforcement des capacités et se lancer dans un programme intensif à l’échelle du gouvernement pour renforcer sa capacité à gérer et mettre en place des mécanismes modernes et efficaces de gestion et de contrôle des fonds, avec des unités de gestion budgétaire et financière correspondantes.

Tout comme pour Paris, il n’est pas trop tard pour que Washington appuie sur le bouton de réinitialisation et commence à considérer Haïti comme un partenaire égal.

Dr. Elsie LAURENCE-CHOUNOUNE

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