L’absence de justice arrose les racines du mal.

« La justice est la première vertu des institutions sociales comme la vérité est celle de systèmes de pensée. » Elle est un rempart qui protège les personnes, garantit les règles de vivre ensemble, les droits et les devoirs de chacun, les conditions d’une société apaisée. Elle met tout le monde au même pied d’égalité devant la loi et inflige la même sanction (positive ou négative) aux individus parce qu’indépendante et impartiale. »

Ces propos de John Rawls devraient nous interpeller. Ils devraient nous porter à scruter certains faits inscrits dans nos pages d’histoire singulière et mouvementée. Vingt-trois textes constitutionnels, de l’indépendance à date, sont, hormis quelques-uns qui expriment une volonté libérale de la conduite des affaires de l’État, l’émanation de nos chefs d’État à l’aune de leurs ambitions. A chaque commotion politique, un président, propulsé au-devant de la scène au nom d’un mouvement dit révolutionnaire, ambitionne le meilleur pour la société et, de manière surprenante, se retrouve en route vers l’exil ou au royaume des morts.

Ces textes, s’il faut les parcourir du regard, ne sont pas fondamentalement opposés. Ils énoncent, toutes proportions gardées, une série de droits considérés comme inhérents à la dignité de la personne humaine et à la lutte contre l’oppression. Cela étant, la Constitution dans laquelle s’inscrit le droit est la norme supérieure que les normes inferieures doivent respecter.  Du point de vue doctrinal, les textes constitutionnels commencent par un préambule qui pose des principes généraux tel que le caractère démocratique des institutions ou les libertés fondamentales reconnues aux citoyens et se réfère aux déclarations universelles des droits de l’homme et du citoyen complétées par des pactes relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques et sociaux.

Konstitisyon se papye, bayonèt se fè.

L’Etat a des pouvoirs régaliens.  En vertu du droit constitutionnel, il définit la nature et les attributions de ses principaux rouages, ainsi que les rapports qui s’établissent entr’eux. Il pose aussi les règles fondamentales de l’organisation politique et sociale du pays, c’est à dire le caractère plus ou moins démocratique de son régime et les droits que peuvent revendiquer les citoyens à l’égard des institutions.

Dans le cas d’Haïti, l’Etat, exerce-t-il ses prérogatives constitutionnelles ? Les citoyens, ont-ils accès à la justice ? Il est un fait indéniable que les dirigeants, les hauts fonctionnaires de l’Administration Publique se pervertissent dans la recherche d’enrichissement facile et sans scrupule, dans la criminalité économique. Il est évident que les citoyens se plaignent de l’accessibilité et de la lenteur de la justice qui demeure un service public.

Faut-il comprendre que la corruption est érigée en principe et définit le cadre général de vie et d’action politique ? Au niveau de la super structure de la société haïtienne, elle se présente sous différentes formes : pot de vin, enrichissement illicite, blanchiment d’argent, abus de trafic d’influence, malversations, fraude fiscale, surfacturation des services à l’Etat, détournement de fonds, passation illégale de marché publique.

 Il est important de remonter le temps et situer ce fléau instillé au tréfonds de notre pratique coutumière dans le contexte historique du système politique et social haïtien.  Des moments d’illustration ! On peut citer : le procès de la consolidation et le procès des timbres.

Les faits de corruption et de malversation qui enveloppent le Conseil Electoral Provisoire en l’année 2015 et l’affaire Petrocaribe ne font pas encore l’objet de procès. Tout montre, cependant, que la malversation se fait au grand jour, à grande échelle et au plus haut niveau de l’Administration Publique sans que personne n’en éprouve la moindre inquiétude. 

Le procès de la consolidation.

L’émission massive de bon frauduleux sous l’administration du Président Tirésias Simon Sam porta Nord Alexis à ordonner une enquête sur les agissements douteux de hauts fonctionnaires, de ministres, de sénateurs et de plusieurs grands commerçants étrangers. Le 25 Décembre 1904, au terme d’un retentissant procès, le jury les condamnait pour faux, usage de faux, vol et recel. Parmi les condamnés, citons Cincinnatus Leconte, Tancrède Auguste et Vilbrun Guillaume Sam qui, par la suite ont dirigé Haïti.

Cincinnatus Leconte fut élu à l’unanimité Président par l’Assemblée Nationale le 7 Août 1911. Celle-ci, réuni à la mort de Leconte emporté par les flammes lors de l’explosion du Palais National, élit Tancrède Auguste a la magistrature suprême de l’Etat. A la tête d’une armée de quelques trois mille hommes, Vilbrun Guillaume Sam se fit élire Président par l’Assemblée Nationale le 9 Mars 1915il marcha vers Port-au-Prince.

Charles Dupuy écrit : « La classe politique haïtienne et les grands financiers étrangers, les avocats de la défense des consolidards, les politiciens condamnés et certains intellectuels acrimonieux ne pardonneront pas à Nord Alexis la ténacité et le courage qu’il a démontré durant l’affaire de la consolidation.  Ils se vengeront très férocement contre celui qui tentait d’imposer un nouveau contrat moral dans l’administration des affaires en le décrivant comme une bête fauve, un animal sauvage, un fossile dégénéré, un militaire consumé par l’ambition et l’orgueil, un dictateur ignorant, une brute sans âme. »

Le procès des timbres.

Les autorités haïtiennes firent émettre toute une variété de nouveaux timbres qu’on a du rapidement retirer de la circulation en raison du commerce de faux timbres de poste circulant en parallèle. Plus de vingt-trois millions de dollars sont détournés.  Le 26 Août 1975, débute au Palais de Justice le procès des timbres. Le 10 Septembre 1975, le Tribunal rend son verdict. Quatre hommes et une femme sont condamnés. Certains doivent passer deux ans en prison, d’autres trois et sept ans. Mais ils s’en sont sortis peu de temps après. Pour plus d’un, ce procès n’aura été qu’un divertissement médiatique.

D’autres faits avérés de corruption et de malversation sont ceux identifiés au niveau du Conseil Électoral Provisoire -au cours des années 2015 et suivants- qui, en vertu de la Loi Electorale, est une institution publique, indépendante et impartiale. Cependant les deux dernières élections présidentielles et législatives organisées en 2011 et 2016 ont été fortement contestées en raison du fait que beaucoup de candidats ont payé pour devenir parlementaires.                                                                     

Une conseillère a été renvoyée par devant le Tribunal criminel sans assistance de jury pour y être jugée pour fraude électorale, forfaiture, enrichissement illicite et corruption

En 2016, un analyste disait : « Il y a lieu de reconnaitre que les fraudes commises par le CEP sont des crimes qui méritent d’être sanctionnés selon la loi. Les résultats diffusés n’ont aucune fiabilité et le CEP est totalement plombé par la corruption. » Pourtant, de ces résultats proclamés sont sortis un Président et des parlementaires qui ont prêté serment solennellement.

L’affaire Petrocaribe.

Petrocaribe est un accord de coopération énergétique entre les pays des Caraïbes et le Venezuela. Haïti, en ayant intégré cet accord en 2006, achetait le pétrole à des conditions de paiement préférentielles. La vente de ce produit aux compagnies locales rapportait au pays des profits qui devaient lui servir à financer des projets sociaux et de développement. Il s’en est suivi une retentissante affaire de corruption.

Des responsables politiques et des hommes d’affaires ont détourné, sous l’administration de quatre présidents successifs, à leur profit la plus grande partie des bénéfices. Le rapport de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif énumère les violations de la loi et les fautes administratives dans les contrats signés. L’Etat a porté plainte pour dilapidation de fonds pour répéter un ministre. Trois milliards de dollars américains auraient été dilapidés. L’affaire Petrocaribe peine à prendre l’allure d’un véritable procès.

La Justice élève une nation.

La justice est une valeur cardinale. Son absence, considérée comme une banalisation du mal, empêche l’éclosion de la vie, freine toute idée de progrès positif, conduit à la décrépitude de la nation. En l’absence de justice, il se forme des agrégats de sauvages et dès lors, c’est la force brutale et aveugle qui devient la norme.

 Le mal d’Haïti, est-il incurable ?  Le pessimisme de l’intelligence doit céder le pas à l’optimisme de la volonté. Haïti est notre bien commun. Périr ensemble comme des insensés ou œuvrer solidairement à la construction du pays en vue d’assurer un avenir meilleur pour la postérité. Quel est le choix à faire ? Toute posture confortable conduit irrévocablement à la radicalité et à l’intransigeance. Tout est dans la nuance. Pour la Fusion, le compromis est l’exigence supérieur qui appelle à un niveau certain de dépassement.

Le 15 Novembre 2023, l’Unité de Lutte Contre la Corruption a remis dans l’enceinte du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince onze rapports d’enquête sur des indices de corruption. Nous reproduisons un extrait des propos du Directeur Général de l’institution en la circonstance : 

« J’invite la justice à donner écho aux actes courageux de l’Unité de Lutte Contre la Corruption. La justice est l’une des pièces manquantes dans ce combat que nous conduisons avec conviction. Pour trente et un rapports d’enquête acheminés durant mes trois dernières années, seulement deux ordonnances sont rendues par deux juges d’instruction. Je demande donc solennellement à tous les magistrats, ce dans le respect de leur indépendance de prioriser d’abord les intérêts de l’Etat. Les sanctions prononcées par les cours au nom de la République sont le remède le plus efficace pour stopper cette hémorragie qui avilit tout un peuple et qui anéantit le projet de vie de nos jeunes dont l’ultime recours est la fuite de leur pays. Que chacun prenne sa part de responsabilité, que la société, que les structures organisées d’ici et d’ailleurs sanctionnent ceux qui se font complices tant par leurs inactions que par leurs complicités, les corrompus, les corrupteurs. »

Un véritable exercice pédagogique, impartial, rigoureux, sans complaisance à entamer contre la corruption.  Attaquons le mal dans son enracinement.

Cherchons la femme aux yeux bandés. Il revient à la Justice de s’assumer, de se mettre au boulot.

signature de l'article de la présidente, Edmonde Supplice Beauzile, sur la nécessité que les elites en Haiti fassent preuve de dépassement pour le réveil et la transformation nationale.

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