Guide de lecture ouverte du budget à tous

Cas du MTPTC

Le décret publié le 29 septembre 2023 dernier établit le budget général de l’État pour l’exercice 2023-2024 et exprime les orientations économiques et budgétaires du gouvernement. Etant donné que ce gouvernement est issu d’un accord politique pour une gouvernance apaisée et efficace durant la période intérimaire de septembre 2021 puis complété par un consensus pour transition inclusive et des élections transparentes de décembre 2022, ces orientations définies dans un contexte exceptionnel sont le résultat d’un consensus et non d’un programme politique.   

Pour rendre accessible à la compréhension les grandes priorités de ce décret portant sur le budget des institutions, cet article se propose de décortiquer une partie des quelques 200 pages du document officiel pour la grande majorité des non-initiés aux dossiers budgétaires du ministère des Travaux Publics, Transports et Communications (MTPTC).

Avant d’élucider de manière détaillée le contenu des secteurs prioritaires portés par le MTPTC dans le budget de l’année en cours, il est important de signaler sommairement les dispositions légales qui régissent le processus d’élaboration du budget depuis l’adoption de la loi sur l’élaboration, l’exécution des lois de finances (LELF) adoptée en février 2017. 

A. Cadre budgétaire succinct au regard de la LELF

En dépit du fait que le budget actuel conserve majoritairement sa forme traditionnelle de présentation, c’est-à-dire un budget de moyens (emphase sur les dépenses réalisées) plutôt que celui de programme (communément appelée gestion axée sur les résultats – GAR), pourtant la LELF de 2017 a introduit diverses innovations budgétaires.

Ce nouveau cadre harmonisé de gestion des finances publiques implique une réforme en profondeur du processus budgétaire en écartant la logique de moyens au profit d’une logique axée sur les résultats où des politiques publiques sont tout simplement déclinées en programmes. Les programmes sont clairement associés à des objectifs définis et explicites pour lesquels des résultats sont non seulement attendus mais également mesurés à partir des indicateurs de performance en fonction d’une finalité d’intérêt général (cf. Art 31 de la LELF).  

Cette volonté, par l’adoption de cette nouvelle disposition, implique des modifications irréversibles des systèmes budgétaire, comptable et de reddition de compte. Par exemple, on parle des innovations en matière de régulation et de contrôle budgétaire, du principe de sincérité budgétaire, de la fongibilité asymétrique des crédits budgétaires, la pluri annualité de cadrage et de programmation, la déconcentration du pouvoir d’ordonnateur principal des dépenses,

Il ne s’agit pas de fournir ici une description complète de l’ensemble des principes susmentionnés. Toutefois nous pouvons retenir le principe de sincérité budgétaire qui implique, sur la base des informations à la disposition du gouvernement lors de l’élaboration, il leur fait obligation de présenter les comptes publics avec une image fidèle et sincère en ce qui concerne la situation et les perspectives économiques nationales  La programmation pluriannuelle fait référence à l’élaboration du budget (loi de finances) sur la base d’une planification budgétaire et économique sur plusieurs années (minimalement trois ans, cf. Art 2  de la LELF ), ce qui requiert également une programmation des dépenses sur plusieurs années pour l’ensemble des ministères sectoriels(cf. Art 47  de la LELF).  

La déconcentration du pouvoir d’ordonnateur principal des dépenses se manifeste par l’introduction d’un responsable de programme qui est proposé par le ministre de tutelle dont la responsabilité est d’assurer le pilotage des programmes (gestion des crédits attribués à la mise en œuvre de la politique publique, cf. Art 33  de la LELF).

La LELF introduit également dans le budget la notion de crédits de paiement pour tout ce qui se rapporte aux dépenses de personnel (Titre I dans le budget actuel), pour les acquisitions de biens et services (Titre II) et les dépenses de transferts (Titre IV) et d’autorisations d’engagement et de crédits de paiement correspondant aux dépenses d’investissement et aux contrats de partenariats public privé (cf. Art 39 de la LELF). 

En fin de compte, la LELF mentionne que les budgets (lois des finances) comprennent non seulement le budget général mais également les budgets annexes et les comptes spéciaux du Trésor. Ces documents ne sont autres que des sous-ensembles du budget général qui retracent des crédits affectés à des dépenses particulières. 

B. Priorités budgétaires du MTPTC  

L’année budgétaire pour l’exercice fiscal en cours fait ressortir les priorités du gouvernement en matière d’infrastructures publiques (routes, eau & assainissement, électricité) en misant sur la consolidation des ressources budgétaires à mobiliser (interne /externe). Autrement, il traduit la volonté de ce gouvernement à répondre aux besoins essentiels d’une population en détresse en termes d’accès aux services essentiels. 

Nous rappelons ci-dessous quelques objectifs poursuivis par le Ministère durant cet exercice fiscal :

  • Initier et poursuivre les travaux de construction des infrastructures routières, en priorisant celles qui ont été endommagées ou détruites à la suite du séisme du 14 août 2021 ; 
  • Augmenter le taux de branchement au réseau d’eau potable à partir de la réhabilitation des Systèmes d’Adduction d’Eau Potable (SAEP) dans les dix (10) départements ; 
  • Accroître l’accès à l’électricité dans les zones rurales et urbaines par le biais de l’extension du réseau, l’électrification de certaines communes, la réhabilitation de la centrale de Péligre, la construction de nouvelles centrales et le développement des micro-réseaux ; 
  • Poursuivre l’implantation d’installations solaires sur le territoire national, notamment dans les régions dépourvues d’infrastructures électriques.

En vue d’atteindre les objectifs précités, des moyens sont mis à la disposition de différents services centraux et déconcentrés du ministère qui agissent dans les différents domaines relevant de leur compétence et au regard des dispositions règlementaires et légales qui régissent le budget. 

Tel que recommandé par la LELF au regard du principe de la programmation annuelle, les projections de crédits budgétaires du gouvernement sont présentées sur un horizon de trois années.  Vu sous l’angle du cadre de dépenses à moyen terme, il est observé un record des moyens alloués au ministère pour l’année fiscal en cours (2023-24) atteignant 41.8 milliards de gourdes, en hausse de 23.6 milliards de gourdes (+ 130%) par rapport à l’exercice fiscal 2022-23 et +148% (24.9 milliards) par rapport à l’exercice fiscal 2021-22. De plus, les projections pour les exercices de 2024-25 et 2025-26 du ministère sont respectivement fixés à 44.8 et 45.1 milliards de gourdes. 

La part de ces crédits budgétaires totaux alloués aux dépenses de fonctionnement des différents services internes et déconcentrés du ministère devraient atteindre environ 2.4 milliards, ce qui équivaut à une augmentation de 228 millions de gourdes (+ 11%) par rapport à l’année dernière.

Les dépenses consacrées aux projets d’investissement sont fixées à 39,4 milliards de gourdes, ce qui représente une progression de crédits proche de 23.4 milliards de gourdes (+ 146%) par rapport à l’exercice fiscal de 2022-23.

Source: données des budgets, MEF

L’importante progression susmentionnée des dépenses globales projetées pour l’exercice en cours au profit du ministère est essentiellement tirée par les crédits des projets d’investissement des services techniques internes et de la direction nationale de l’eau potable et de l’assainissement (DINEPA). 

Sources de financement (Cadre financier) 

Les dons et emprunts des partenaires (BID, BM, UE, …) projettent de financer les projets d’investissement portés par les services techniques internes du ministère à plus de 90%, soit un montant de 28.3 milliards de gourdes contre seulement 3.1 milliards de gourdes émanant du Trésor public.

Le constat est identique au niveau de la DINEPA où les ressources estimées des partenaires s’élèvent à 7.7 milliards de gourdes (98%) contre un apport de 45 millions de gourdes du Trésor Public. Ces ressources inscrites au budget de l’exercice en cours sont en hausse d’environ 500% par rapport à l’exercice 2022-23 concernant les bailleurs. 

Le cadre financier spécifique du budget pour le ministère démontre que la principale source de financement est constituée par des revenus dont le gouvernement dispose peu de contrôle tenant compte d’une certaine rigidité des paramètres de modification des dons ou emprunts des partenaires techniques et financiers. Contrairement à la pleine capacité dont dispose le gouvernement pour modifier, par exemple, des taux de collecte par l’ajout de nouveaux impôts ou taxes ou leur retrait. Autrement, les principes qui régissent les mécanismes d’exécution prévus par la LELF ne s’appliquent pas majoritairement aux fonds des bailleurs et sont plutôt régis par leur propre processus de décaissement. 

Il est évident que la non-maîtrise des paramètres de ces dons et emprunts impactent fortement le principe de la sincérité budgétaire pour l’exercice en cours. À la suite de cette forte hausse sans précédent constaté et tenant compte de la répartition pluriannuelle des engagements (en cours ou programmés) des bailleurs, ne traduit-il pas des prévisions budgétaires trop optimistes, ce qui pourrait être assimilé à une sorte de « budget de fausses prévisions » ? 

En conclusion, passer en revue de manière synthétique un budget (loi de finances) du gouvernement haïtien surtout au regard des nouvelles dispositions sur son élaboration et son exécution se révèle une démarche non dénuée de complexité même pour des spécialistes du domaine. Cet article se fixait comme objectif de mettre en lumière les éléments déterminants du contenu du budget alloué au ministère des Travaux Publics, Transports et Communications pour une meilleure compréhension.

Dans un environnement économique, social et politique extrêmement difficile dont fait face le pays à l’heure actuelle, le budget a la responsabilité de traduire les préoccupations auxquelles les autorités politiques souhaitent aborder au profit de la population. Les différentes facettes couvertes dans ce présent article abordaient d’ailleurs celles-ci pour le ministère sous analyse. 

Moïse CELICOURT, Economiste

mcelicourt@partifusion.ht

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