ÉDITORIAL -Octobre 2023

LA GOUTTE D’EAU

L’épopée de 1804 !

Des hommes et femmes, en pleine tourmente dans la colonie esclavagiste de Saint- Domingue, ont marqué à l’encre indélébile, tout au long du XIXème siècle, la civilisation occidentale et chrétienne au faîte de sa puissance et de sa gloire. En ayant défié effectivement les grandes puissances colonialistes d’alors, ils ont bousculé l’ordre mondial et l’ont refaçonné.

Miracle ! Hauts faits d’armes ! Prouesses !

Dans le malheur, ils ont su frayer un chemin et s’en sont sortis. Haït, le seul à se libérer du joug colonial esclavagiste, est devenu un Etat indépendant. Isolé, cependant, sur la scène internationale dès son accession, cet Etat a survécu et, mieux, a servi de catalyseur aux pays de l’Amérique latine devenus eux aussi indépendants. Le soutien indéfectible du Président Alexandre Pétion au Général Bolivar en l’année 1816 fut décisif dans les guerres de libération. Il lui fournit armes et munitions. Beaucoup d’haïtiens se portèrent volontaires et combattirent aux côtés du General.

L’Haïti d’aujourd’hui est devenu un dossier accablant et encombrant.

La gestion de l’espace semble nous conduire à une impasse. Durant les trente dernières années, le territoire a connu trois fléaux successifs, faisant ressortir du coup son extrême vulnérabilité : l’imposition de l’embargo par le Conseil de Sécurité de l’ONU en l’année 1991, les violentes secousses sismiques dévastatrices en 2010 et 2021, le climat d’insécurité instituée et entretenue de manière fort habile ces cinq dernières années par la fédération des gangs, ont entrainé Haïti dans une crise multidimensionnelle qui végète. Ce dernier constitué de kidnapping, de viols, de décapitalisation et de misère abjecte met à nu le dysfonctionnement des institutions républicaines, suscite l’inquiétude, l’angoisse, la peur, entraine la paralysie presque totale des secteurs d’activités et porte les Haïtiens et les Haïtiennes à fuir en masse le sol natal.

Les amis d’Haïti sont préoccupés par ce fait d’actualité brûlante, disent-ils. Eh oui, ils observent. Des actions. Qu’en est-il dans la pratique ? En Novembre 2022, les Etats Unis se prononcent sur l’envoi d’une force militaire. En Mars 2023, le Président des Etats-Unis rencontre le Premier Ministre canadien à Ottawa et s’exprime devant le Parlement. Au menu, un sujet préoccupant : la crise en Haïti et les appels à une intervention militaire internationale.

En visite en Haïti au mois de Juillet 2023, le Secrétaire Général Antonio Guterres a déclaré :

« J’ai ressenti tout l’épuisement d’une population qui fait face depuis longtemps à une cascade de crises et à des conditions de vie insoutenables. J’appelle les Etats qui ont la capacité de fournir une force sécuritaire robuste à ne plus avoir d’hésitations et à être prêts à suivre une décision du Conseil de Sécurité. Chaque jour compte. Si nous n’agissons pas maintenant, l’instabilité et la violence auront un impact durable sur des générations d’haïtiens. »

Le Conseil de Sécurité a adopté le 2 Octobre 2023 une résolution dans laquelle il autorise le déploiement d’une mission de sécurité Internationale pour appuyer la Police Nationale d’Haïti à faire face aux gangs. Mais tout laisse croire que lesdits amis ont leur propre logique. Face à la crise humanitaire et sécuritaire, les Haïtiens, les Haïtiennes et leurs enfants nés à l’étranger sont plutôt expulsés. D’après les données recueillies par l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), du 1er Janvier 2021 au 26 Février 2022, 25765 personnes ont été expulsées de force en Haïti, dont 20309 par les Etats Unis, le reste étant renvoyé par les Bahamas, Cuba, les iles Turques et Caïques, le Mexique et d’autres pays.

Le vase est rempli.

De surcroît, surviennent les récentes déclarations teintées de violences, de haine et de racisme du Président Dominicain contre le peuple haïtien. Ce dernier a décrété, en effet, la fermeture de toutes ses frontières avec Haïti en réponse à la construction d’un canal sur la rive haïtienne d’un cours d’eau, la rivière Dajabon. Préalablement, il avait annoncé l’érection d’un mur de 164 km tout au long. Rien de surprenant au regard du contentieux historique permanent entre les deux Républiques. Qu’on se le rappelle ! Cette rivière, baptisée à juste titre rivière massacre, prétexte du litige, cache les stigmates de nos vingt mille frères et sœurs haïtiens assassinés lâchement, cruellement et froidement à l’arme blanche entre le 2 et le 4 Octobre 1937 sous les ordres du dictateur Raphael Leonidas Trujillo Molina. Les corps des victimes seront jetés dans la rivière.

Deux grandes raisons auraient motivé le carnage. D’abord, une question historique. Le Président Jean Pierre Boyer a dirigé l’ile entière pendant vingt et un ans, ce que les autorités dominicaines n’ont jamais digéré. Ensuite le racisme du général qui s’est donné la mission de blanchir son pays. Le massacre « du persil » en dit long. Trujillo n’a pas caché son inimitié envers les Haïtiens. Il a activement prôné l’immigration de Portoricains, d’Espagnols, de Juifs et d’Asiatiques en République dominicaine.

Heureux mécompte !

Il y a tout juste 75 ans, l’Etat Haïtien et son peuple ont riposté souverainement à la condescendance du Grand Voisin. Le Président Dumarsais Estimé avait demandé aux Etats-Unis d’Amérique la renégociation du paiement de la dette nationale au montant de cinq millions de dollars afin d’obtenir les fonds nécessaires à l’exécution des grands travaux publics. Les Américains rejetèrent catégoriquement la requête. Ils n’entendaient aucunement changer les conditions de la Convention de 1922 qui prévoyait un régime de tutelle financière en garantie de l’emprunt.

Heureux mécompte ! s’exclama « Estimé » qui parvint à mobiliser la nation entière autour d’un objectif simple et efficace : le remboursement de la dette. Payons les cinq millions ! Le peuple s’exécuta. La fin du contrôle fiscal de l’étranger et le complet remboursement de la dette nationale ont libéré financièrement le pays.

La goutte d’eau de trop.

L’entêtement du Président dominicain a suscité un réveil patriotique dans la cité. Les Haïtiens et les Haïtiennes se positionnent en faveur de la construction du canal. 61 000 compatriotes ont quitté volontairement la République Dominicaine pour venir s’installer en Haïti. La population refuse d’acheter tous produits émanant de la République dominicaine.

Lors de la 78eme session de l’Assemblée générale des Nations Unies, le Premier Ministre s’est adressé en ces termes :

« Je suis venu vous transmettre le message du peuple haïtien dans son ensemble : la rivière Massacre, une très grande scène de frictions historiques et actuelles entre la République d’Haïti et la République Dominicaine, nous invite à faire de notre mieux pour ne pas réveiller les vieux démons, ressusciter d’anciennes blessures ni en causer d’autres. Haïti réaffirme son droit souverain de peuple libre d’utiliser les ressources hydriques binationales, comme le fait la République Dominicaine et revendique une répartition équitable des eaux de cette rivière. »

Est-ce le début d’une prise de conscience ?

Profitons de la fermeture de la frontière. La plaine de Maribahoux est une terre fertile. Comment l’arroser et l’entretenir dans l’intérêt du Grand Nord ? Pensons aux terres fertiles de l’Artibonite, du Plateau Central qui constitueraient le grenier de la Caraïbe ? La Grande Anse, le Sud, le Sud ’Est sont tout aussi fertiles. Elaborons une politique publique agricole qui aura la vertu de nous relancer vers l’exportation.

Unissons nos forces. L’insécurité est le fléau qu’il faut combattre et éradiquer. Les gangs s’imaginent qu’ils sont les seules forces, les seules autorités. Ils pillent, ils brulent, ils kidnappent, ils rançonnent ils terrorisent, ils assassinent sans être inquiétés. Nous avons l’obligation de nous concerter en vue

de nous opposer aux forces obscures qui veulent notre perte.

Additionnons nos énergies et nos compétences. La Constitution doit être notre seule boussole. Parce qu’elle définit les mécanismes des trois pouvoirs de l’Etat, elle délimite le territoire et appelle à la protection de la collectivité et de chacun en particulier.

La fermeture de la frontière doit être la goutte d’eau de trop. Elle doit servir à galvaniser les énergies. Elle doit être, en nous dépouillant de nos suffisances, cet élément catalyseur qui doit nous porter à former le Citoyen Haïtien par l’éducation, à gérer et à administrer le pays.

Heureux mécompte !

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